L'approche philosophique et psychanalytique
« Sado-masochisme », monstre sémiologique ?
C'est en tous cas ce qu'exprime Deleuze : « Sado-masochisme est un de ces noms mal fabriqués, monstre
sémiologique »3. Il considère que sadisme et masochisme sont deux univers différents. Qu'ils ne peuvent être de parfaits
contraires, ni une parfaite complémentarité. Le sadisme étant un univers de crimes, de ce fait hors consentement. Et, le masochisme l'univers du contrat où tout est accepté par le sujet qui
éduque son bourreau. Un peu comme si on pouvait nommer les deux couples différemment l'un Maître sadique et sa victime non consentante, et l'autre Maître ou Maîtresse pour le masochiste sujet
consentant. D'où la notion de contrat dans le masochisme. Ce qui n'empêche pas les acteurs de changer, quelquefois, de rôles27
« Chez Sacher-Masoch, l’esclave éduque le maître. Le contrat est d’abord un contrat d’apprentissage. La violence permet la rédemption
et le vice y est, comme dirait Cioran, "une envolée de la chair hors de sa fatalité28". »
Theodor Reik nomme le sujet masochiste « le rêveur5. »
Les différents
caractères du masochiste selon Deleuze et Reik
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1er Caractère, de T. Reik : « la signification spéciale de la fantaisie5. » Fantasme vécu pour lui-même ou la scène rêvée, dramatisée, ritualisée, indispensable au masochisme29.
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2e caractère, parle du « facteur suspensif » La dominatrice doit mesurer le temps,
« l’attente, le retard exprimant la manière dont l’angoisse agit sur la tension sexuelle, » nous dit Deleuze29. « Le masochiste attend quelque chose qui est essentiellement en retard30. »
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3e caractère, selon Reik « Le trait démonstratif5. » Ou, pour Deleuze, « le masochiste exhibe sa douleur29. »
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4e Caractère, le « facteur provocateur du masochiste », Reik dit que le masochiste
« envoie le sadique en éclaireur. »
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Deleuze estime que Reik néglige un 5e facteur, le pacte qui unit le masochiste à son bourreau.
Le rôle de "l'esclave éducateur."
L’erreur serait de penser que la dominatrice dirige réellement le jeu : elle n’est dominatrice qu’en apparence. La séance repose sur
un pacte : « Le masochiste n’est qu’en apparence tenu par les fers et les liens. Il n’est tenu que par sa parole. Le contrat masochiste n’exprime pas seulement le consentement de la
victime, mais le don de persuasion, l’effort pédagogique et juridique par lequel la victime dresse son bourreau12. »
Rapports prostitutionnels
Contrairement à Don Juan qui cherche la femme idéale en multipliant ses conquêtes, Masoch et les masochistes cherchent toutes les femmes
en une seule femme idéale représentant les trois mères. L'hétaïre, (prostituée), la mère nourricière et la mère œdipienne. « Wanda raconte que Masoch la persuadait de chercher des amants, de
répondre aux petites annonces et de se prostituer pour de l’argent31. »
Deleuze cite Masoch en disant : « Mais ce désir il le justifiait ainsi : "C’est une merveilleuse chose de trouver chez sa
propre, honnête et brave femme, des voluptés qu’il faut généralement aller chercher chez le libertines31". »
Plaisir sans responsabilité
T. Reik cite W.Stekel et W.Reich. L’exemple fourni par Theodor Reik5 est : « son patron rentre dans la chambre où il se trouve et, revolver en main, donne au rêveur l’ordre
de copuler avec sa femme (celle du patron). Cela semble être un exemple parfait de la catégorie : plaisir sans responsabilité (...). »
La dominatrice est celle qui prend le rôle du patron. Armée d’un fouet, usant de paroles dures, de menaces, de chantage, humiliant son
sujet. Elle oblige son sujet à prendre le plaisir défendu et endosse la faute.
Rapports aux pratiques et aux jeux de
rôle
À propos des jeux d’enfants pour adultes, Anne Larue évoque la différence entre le masochisme social et le masochisme festif : « être ludique, ce n’est
justement pas être un enfant geignard ou dépendant ; c’est être un enfant adulte capable de jouer à l’enfant, et d’apprécier la distance que vaut le jeu. (…) Les grands enfants heureux qui
sans l’ombre d’une « pulsion de destruction » véritable jouent au masochisme justement parce qu’ils sont heureux et qu’ils ne sont plus des enfants32. » Du besoin de régression vers la toute petite enfance W.Reich dit que le masochiste a un intense besoin
d'être aimé. A cela Théodor Reik réplique "Le bébé est sûr d'être aimé. Il a une confiance naturelle dans l'amour du père et de la mère et du monde entier."33 ». Reik cite aussi le lied de Brahms "Ah si je connaissais encore le chemin du retour, le chemin bien aimé à la
chère période de l'enfance..." Pour Jean Jacques Rousseau, il s'agit de Mademoiselle Lambercier sa maîtresse d'école."Cette récidive, que j'éloignais sans la craindre, arriva sans qu'il y eût
de ma faute, c'est-à-dire de ma volonté, et j'en profitai, je puis dire, en sûreté de conscience. Mais cette seconde fois fut aussi la dernière, car Mlle Lambercier,
s'étant sans doute aperçue à quelque signe que ce châtiment n'allait pas à son but, déclara qu'elle y renonçait et qu'il la fatiguait trop. Nous avions jusque-là couché dans sa chambre, et même
en hiver quelquefois dans son lit. Deux jours après on nous fit coucher dans une autre chambre, et j'eus désormais l'honneur, dont je me serais bien passé, d'être traité par elle en grand
garçon. Qui croirait que ce châtiment d'enfant, reçu à huit ans par la main d'une fille de trente, a décidé de mes goûts, de mes désirs, de mes passions, de moi pour le reste de ma vie,
et cela précisément dans le sens contraire à ce qui devait s'ensuivre naturellement ?" Rousseau avouera plus loin : "J’ai fait le premier pas et le plus pénible dans le
labyrinthe obscur et fangeux de mes confessions" 34 Bien que la dominatrice soit la représentation de la seconde mère, le masochiste s'adresse souvent à une proche de
la famille ou de l'éducation, la tante, l'institutrice et enfin l'amie de la mère, c'est le cas du rugbyman dans Françoise Maîtresse 35 Dans le cas de Masoch lui même nous dit Deleuze, c'est de la tante qu'il s'agit, "c’est une de ses tantes qui
joua le rôle de seconde mère : Masoch enfant se cache, pour l’épier, dans une armoire à fourrures "36. L’épisode est transposé dans La Vénus37. Bondage : On retrouve chez plusieurs philosophes ou psychanalystes, dont Otto Rank, l'idée que la vie intra-utérine serait une
situation voluptueuse, sorte de Paradis perdu et que l'être humain chercherait un retour inconscient à la vie intra-utérine38. Rank ajoute : « c'est ainsi qu'en se faisant ligoter, le masochiste essaie de rétablir, en partie tout au
moins, la situation voluptueuse de l'immobilité intra-utérine. » Toujours d'après ce même auteur, le bondage constitue un élément typique du masochisme. Thanatos règne dans ces jeux, particulièrement avec le latex. Et c'est pour mieux le combattre que l'esclave latex ou le
fétichiste latex s'enferme. « Car c'est en maîtrisant ce qui normalement nous détruit que nous pouvons vaincre la mort et atteindre l'éternité39. » Dans son livre, Françoise Maîtresse s'en amuse. « La mort chez nous est comédie, comme la peur est
factice fabriquée pour jouir. » Anne Larue cite également ce passage40. Et aussi, dans le bondage, l'immobilisation de la femme, l'homme règle aussi ses peurs. La peur du sexe de la
femme est traitée dans : Le sexe et l'effroi 41. Quignard explique la fascination dans le sens attirance/répulsion, parce que "Nous transportons avec
nous le trouble de notre conception"(...) "Il n'est point d'image qui nous choque qu'elle ne nous rappelle les gestes qui nous firent"(...) "Or cette "chose regardée en même temps" nous ne
pouvons en aucun cas la voir. Nous sommes venus d'une scène où nous n'étions pas." pour Pascal Quignard le sexe de la femme représente, dans l'inconscient, le non être, la mort. En bondageant la
femme l'homme la rend disponible (attirance) et immobile donc non dangereuse (répulsion).
Cannibalisme retourné : « L’ours est l’animal d’Artémis, l’ourse à la fourrure est la Mère, la fourrure est le trophée maternel.
Aussi bien, dans ce recueillement, la loi de la Nature devient-elle terrible : la fourrure est la fourrure de la mère despote et dévorante instaurant l’ordre gynécocratique. Masoch rêve que
la femme aimée se transforme en ours, l’étouffe et le déchire. » Gilles Deleuze42.
Urolagnie - scatophilie : Otto Rank43 précise que, lorsqu'un enfant prend du retard sur l'âge de la propreté, c'est justement pour faire perdurer la
situation intra-utérine voluptueuse.
Lavement érotique - Otto Rank44 toujours : le psychanalyste parle du « désir inconscient du garçon de pouvoir donner naissance à des
enfants par la voie anale ». Or dans le lavement érotique, il y a aussi la perte des eaux. Considération des psychanalystes qui ramènent tout à l'enfance post-natale, il s'agirait du
souvenir d'enfant érotisé.
Rubber doll - enfermement total dans des vêtements de latex : le visage même est recouvert d'un masque de femme en latex. C'est une façon de prendre ses
distances avec le réel, d'entretenir l'apparence de la transformation sauvée. C'est un « abandon du jugement de dieu » selon Antonin Artaud et Deleuze, à l'image du visage du Christ vecteur de culpabilité. L'homme quitte ainsi son visage
phallique patriarcal. La « Visageité » selon Deleuze Guattari parle d'un déni de visage, référence à la peinture de Francis Bacon. Deleuze a en outre écrit sur Francis Bacon45.
Le sujet cherche « à s’attacher des ailes (…) pour fuir ce monde dans le rêve46. » Le masochisme est l’une des lignes de fuite deleuzienne. On retrouve les lignes de fuite de Deleuze dans
« Les devenirs » 47 et dans Les dialogues avec Claire Parnet48.
La dominatrice a ainsi une approche de psychologue ou psychanalyste mais en aucun cas ne peut les
remplacer.
Anne Larue40 évoque et démontre ce qu’une dominatrice ne doit pas faire : se prendre pour une vraie psychologue ou
psychanalyste : «« théâtreuse » dans l’âme, elle monte tous les jours sur les planches »: « quelles que soient mes misères de clown, le spectacle doit continuer. » À
un amant qui retrouve trop facilement à son goût de la maman sous la dominatrice, elle rétorque : « ne comptez pas sur moi pour vous aider à ranger vos petits soldats de plomb. Restons
ludique. Fouet ? Jeux théâtralisés13 ? »
Le cas de Nietzsche
Nietzsche et Lou Salomé photographiés avec l'amant de celle-ci, Paul Rée. On aperçoit un fouet entre les mains de la
cochère.
Lou Andreas-Salomé, l'amie de Nietzsche puis l'amante de Rilke. Image troublante. C'est Nietzsche qui disait : « si tu vas chez la femme, n’oublie pas ton
fouet ». Là c'est Lou qui le tient.
Toutes proportions gardées, Nietzsche reproduit avec Lou et son amant de l'époque, Paul Rée, un schéma similaire à celui qu'il forma plus tôt avec Wagner et son épouseCosima. Dans les deux cas, Nietzsche fait l'expérience un amour platonique en direction la composante féminine du trio,
tandis qu'il est uni par une amitié intellectuelle et/ou artistique avec l'amant de celle-ci. Chacun de ces trios se terminera par une rupture douloureuse pour le philosophe, dont le fracas
retentira dans son œuvre ultérieure.
La Dominatrice (approche)
dans l'histoire de l'humanité
Dominatrice au XXIe siècle, elle fut :
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Femme fatale au début du XXe ;
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Déesse dans la mythologie ;
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Amazone ;
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Prostituée Sacrée en Inde - Toujours présentes dans les temples ; Dans le texte fondateur et plus ancien de 2000 ans qui inspira la
Bible, l'homme est dominé comme un animal :
« Va chasseur, emmène avec toi une prostituée du temple une courtisane sacrée. Elle dominera cet homme elle saura
l'apprivoiser. Lorsqu'il viendra pour s'abreuver avec sa harde aux points d'eau, qu'elle enlève ses vêtements, dévoile sa nudité et les charmes de son corps. En la voyant il sera attiré vers elle
et deviendra son captif. Sa harde qui a grandi avec lui dans la plaine ne le reconnaîtra plus. » 49 note 2
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Matriarche - Le matriarcat existe encore dans quelques sociétés en Inde ;
-
Sorcière au moyen âge - (elles endossaient la culpabilité tant des laïcs que des religieux). De plus, la sorcière est
et était représentée à califourchon sur son balai, qui la rendait phallique. À l'époque on disait que les sorcières « chevauchaient des animaux la nuit en compagnie de Diane50, la déesse des païens ».
Pour plus de précisions sur la gynécocratie à travers l'histoire, on peut en outre consulter Le droit maternel ; le
livre est de Johann Bachofen51 (recherche sur la gynécocratie de l'antiquité) ; livre très contesté par les philosophes et chercheurs et notamment
par Simone de Beauvoir. Bachofen était accusé d'être un rêveur « fertile et amoureux du songe52 ».
Dominatrices renommées
Au cinéma
Cinéma underground
Il existe très peu de films underground traitant de la dominatrice dans le masochisme festif. On en note quatre
principaux :
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Preaching to the Perverted53
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Maîtresse, de Barbet Schroeder54
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Sick: The Life & Death of Bob
Flanagan. Sick est un documentaire. Se sachant atteint d’une maladie douloureuse et incurable, Bob Flanagan va soulager le mal par le mal. Ce documentaire met en scène des pratiques extrêmes dans lesquelles le
sujet atténue la douleur de la maladie en se livrant à la douleur orgiaque.
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La Femme flambée, de Robert Van Ackeren55
Cinéma grand public
Parmi les films grand public, on peut mettre en évidence deux œuvres importantes :
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La Secrétaire : États-Unis, 2002, de Steven Shainberg avec James Spader, Maggie Gyllenhaal, Jeremy
Davies, Amy Locane, Lesley Ann Warren.
Celui-ci concerne la relation dominateur à femme masochiste. La jeune femme est une masochiste sociale et totalement déséquilibrée.
Lorsqu'elle sort de l’hôpital psychiatrique, elle est embauchée par un avocat dominateur. On a l’impression qu’il la sent, la respire. Évidemment, elle provoque, fait des fautes d'orthographe,
des gribouillis. Il commence à la dominer, l’humilier, l’obliger à certaines pratiques d’obéissance. Il la fesse, elle devient accro. Elle se soumet. Le dominateur culpabilise. Il a peur d'aller
trop loin. Il rompt. Il n'est pas un vrai sadique. Il est tout simplement la prise mâle de la femelle masochiste, en quelque sorte, « le masochisant » selon Deleuze. C'est compter sans
le caractère dominant du (de la) masochiste qui plie mais ne rompt pas. Elle s'installe au bureau du Maître. Elle ne mange plus. Elle ne dort plus. Il semble même qu'elle urine sur place. Elle
domine la situation, devient psychologiquement l'élément « mâle » dominant, en plus clair, la force. Il cède car il l'aime. Le masochisme mortifère a été soigné par ce que la société
bien pensante nomme le mal et les pratiquants nomment plaisir. Elle va renoncer à se mutiler. C’est le maître qui l’avait exigé. Il la construit. Le masochisme mortifère se transcende en
masochisme orgiaque. La masochiste et le dominateur fondent dans une relation follement amoureuse. Véritable petit conte de fées SM.
- Un autre film grand public où c’est la femme masochiste qui forme son bourreau, interprétation prodigieuse d’Isabelle Huppert. Un professeur de piano de quarante ans, froide et autoritaire, vit une relation trouble avec
une mère très possessive. Elle tombe amoureuse de son élève Benoît Magimel. Habituée à l’automutilation, elle aussi. Elle provoque celui qu’elle choisit pour Maître, lui présente des objets de
torture. Elle veut le former. Elle se détruit, mais tente également de le dérouter par tous les moyens. Ce film est d’une grande ambiguïté, il démontre aussi que la frontière entre le masochisme
moral et le masochisme ludique est ténue. Cela finit mal. Les différentes fiches lues sur Internet ne font qu’une petite approche et ne détaillent pas vraiment le masochisme dans le film56.
Scènes de domination dans des films
grand public
Dans le film Lunes de fiel, la scène où Oscar est cagoulé en cochon et celle où Mimi coupe les vêtements d'Oscar à coups de
rasoir, la tenue luisante en vinyle noir de Mimi font penser au monde du BDSM. Mais ce n'est qu'illusion. Nous sommes dans un tout autre univers. Le film Lunes de fiel montre des relations d'une extrême cruauté. Il n'y a pas de consensus entre les protagonistes. Le
handicap n'a pas été choisi. La dépendance qui s'ensuit n'est pas jouée. On est aux antipodes de l'univers BDSM. Le film met en scène une relation passionnelle. Les personnages sont dans un sadisme déterminé, ascensionnel et qui finit en
tuerie. C'est très différent de ce que vivent les partenaires dans une relation masochiste festive dominant/dominé. Depuis une certaine évolution des mœurs, dont Barbet Schroeder, avec Maîtresse, fut l'un des pionniers, on voit des scènes réellement masochistes au cinéma, mais ce sont
juste de courts passages. Une scène de domination dans un donjon par exemple. Bien avant, le sadisme et le masochisme étaient mis en scène de façon plus discrète : tortures de pirates,
scènes de fouet, fessées administrées par John Wayne, etc.
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